Avec beaucoup de retard (rentrée universitaire oblige), je désire jeter mon grain de sel dans le débat qui a eu lieu au Québec, début août, autour de la critique assassine qu’a rédigée Marc Cassivi du film Filière 13 de Patrick Huard. Certes, ce billet n’apportera sans doute aucun ingrédient magique permettant de donner un nouveau souffle à cette polémique, mais je trouve le sujet particulièrement intéressant pour les étudiants de mon cours Modèles théoriques de la communication de masse, qui auront à bloguer avec moi sous peu sur des enjeux similaires.
Petit récapitulatif:
– Fin juillet, Marc Cassivi voit le film de Patrick Huard et écrit une chronique dans laquelle il questionne la « hollywoodisation » du cinéma québécois, phénomène qu’il relie avant tout à la prédominance des acteurs-vedettes qui se fait au détriment des scénarios et des récits.
– Le matin même de la publication de cette chronique, Patrick Huard passe en entrevue à la première chaîne de Radio-Canada et profite de cette tribune pour traiter Cassivi de « petit joufflu pas télégénique »; il s’y plaint des conditions de production cinématographique au Québec, et affirme (avec raison) que le cinéma québécois doit aussi produire des films commerciaux.
– Le 31 juillet, Marc Cassivi publie sa critique fort sévère du film Filière 13, dans laquelle il questionne les talents de réalisateur de Patrick Huard, qu’il qualifie par ailleurs de bon acteur et de bon humoriste. Cassivi se désole de voir que les fonds publics aient financé un film aussi générique et sans vision.
– Le 2 août, Anik Jean commente la critique et Cassivi lui-même, mais je vais me garder d’inclure cet épisode – et ce commentaire – carrément impertinents dans ce billet, pour me consacrer à la question centrale, à savoir: comment nos fonds publics doivent-ils être dépensés lorsqu’il s’agit de la production cinématographique québécoise?
Cette question a été abordée avec brio dans deux billets de blogues. Dans le premier, l’auteur donne raison aux deux parties, mais termine en disant que s’il est important de produire des films commerciaux au Québec, il y aurait tout de même moyen d’en faire des meilleurs (il cite Horloge biologique de Ricardo Trogi en exemple). Dans le deuxième billet, l’auteur insiste lui aussi sur la nécessité de produire des films commerciaux au Québec, puisque les films sont financés avec les taxes de Monsieur et Madame Tout-le-monde, et que Monsieur et Madame Tout-le-monde veulent avant tout voir des films commerciaux avec des effets spéciaux, des cascades et des blagues. Et si on ne produit pas de tels films, Monsieur et Madame Tout-le-monde iront voir le dernier blockbuster américain.
Bon, mon grain de sel à présent:
Je partage entièrement l’avis de Marc Cassivi sur Patrick Huard: si cet humoriste est parmi les meilleurs au Québec, et s’il est un des rares humoristes à avoir du talent comme acteur, je suis convaincu qu’il n’aurait jamais eu la chance de s’improviser réalisateur n’eut-ce été de sa position dans le vedettariat québécois. Devenir réalisateur (et surtout, devenir BON réalisateur) demande beaucoup plus qu’un sens de l’humour, sans quoi on utilise les clichés les plus flagrants, allant des « abus de filtre » à la direction peu crédible des acteurs. Dans cette veine, je questionne sérieusement l’utilisation des fonds publics pour produire des films réalisés par des réalisateurs improvisés – d’autant plus que plusieurs universités québécoises forment des gens dotés d’outils et de talents beaucoup plus crédibles dans le domaine de la création et de la réalisation cinématographiques. Et lorsque Huard se plaint des moyens dont il a disposé pour son film ($5.1 millions), je partage le désarroi de Cassivi qui demande « combien de films signifiants peut-on produire avec $5.1 millions »? Des chefs-d’œuvres ont été réalisés avec moins que cela (exemple rapide et dans doute peu pertinenent qui me vient à l’esprit: Requiem for a Dream de Darren Aronofsky).
MAIS, je partage également l’avis de Patrick Huard, du moins jusqu’à un certain degré: le cinéma québécois doit produire des films commerciaux qui plairont au public élargi, en plus de produire des œuvres innovatrices qui feront avancer l’art et le médium cinématographiques. Cependant cet argument pèse peu pour justifier le film Filière 13, qui ne se distingue aucunement et qui est d’une généricité absolument insupportable. Il y a moyen de produire des films accessibles qui se distinguent néanmoins par leur originalité et leur utilisation plus réservée des clichés et des dispositifs sur-utilisés. Ces films plairont au public, tout en lui procurant un cinéma qui a son caractère propre et sa capacité de nuance.
Ce qui m’amène à ma remarque finale: à force de toujours avoir peur d’innover, le tout afin de plaire au public, on génère des goûts culturels et cinématographiques fort peu élevés. Le cinéma hollywoodien a compris cela et réussit à innover dans plusieurs de ses productions, générant des films qui, tout en étant destinés à un public cherchant avant tout à se divertir, réussissent parfois à sortir des sentiers battus et repensent le cinéma populaire, le tout en confiant les tournages à des réalisateurs formés, chevronnés et innovateurs (pensons notamment à Christopher Nolan, que Patrick Huard dit admirer). Si cette tendance se maintenait, ne serait-il pas possible de prétendre générer des goûts et des attentes cinématographiques plus développés au sein de la population? Réaliser des films aussi génériques et sans saveur, n’est-ce pas un peu narguant envers le public, à qui on semble prêter bien peu de capacités à recevoir des films bien pensés et bien réalisés? Cette question s’adresse avant tout à mes étudiants, bien que j’invite tout le monde à commenter ce billet.
Très bon billet dans son ensemble. Une belle réflexion de société à se poser, surtout lorsqu’il s’agit de produits culturels payés (fonds publics) et consommés par « Monsieur/Madame Tout-le-monde ».
Qu’est-ce qui arrive en premier, l’oeuf ou la poule?
Est-ce que le cinéma québécois devrait répondre à la demande ou créer la demande?
Mais surtout, est-ce que les fonds publics devraient financer la demande ou des produits pouvant créer la demande? Un équilibre en toute chose est souvent la clé du succès.
Je remarque une évolution dans la vision et les objectifs des grandes institutions finançant le cinéma canadien. Il y a quelques années, la tendance semblait être de faire du cinéma pour avoir du contenu canadien (et québécois). Mon analyse : ne pas être submergé par les productions américaines – hollywoodiennes. Aujourd’hui, on cherche à rentabiliser et promouvoir ce même cinéma et là, il faut du contenu commercialisable ou qu’il se démarque… Après des succès comme « Bon cop Bad cop » et « Les trois petits cochons » (que j’ai trouvé très divertissant, soit dit en passant), la tendance peut encourager le même moule. Il faut garder en tête qu’il est bien agréable de regarder un film « facile » le vendredi soir avec un sac de pop-corn.
D’une autre part, ce type de production n’empêche pas celle de film avec plus de substance. Et ceux-ci se démarquent tout aussi, avec des publics cibles différents, je pense à des films réalisés par Ricardo Trogi, Léa Pool et bien d’autres que j’oublie…
Malgré tout, comme pour la nourriture et le bon vin, les goûts se façonnent (j’aimerais mieux dire se développe…
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Très bon billet, mais il porte à une introspection plus profonde du cinéma québécois.
Il faut comprendre que le « star-système » québécois est basé sur son voisin du sud. Une vedette est déifiée et on entretien, par les magasines, la télévision et la publicité, son statut d’être supérieur. Monsieur et madame tout le monde désire suivre ces vedettes, car adopter un comportement qui les relies à elles, c’est d’être un peu ces vedettes aussi. De cette façon, ils ont l’impression de se déifier aussi, ou du moins suivre ce dieu et adopter ce qu’il prêche.
Dans le cas de Patrick Huard, que personnellement j’appréciais davantage comme humoriste ou à la télé qu’au cinéma, son statut de Dieu au Québec n’est plus à discuter. On le voit partout, il a été et est encore porte-parole pour plusieurs trucs, on l’a vu à la télé, à la radio et j’en passe… L’opinion du public à son égard est bonne et on le considère comme une bonne personne. Cette popularité le rend vendeur sans même qu’il ait à faire quelque chose de « bon ». C’est pourquoi on aura tendance à lui accorder des fonds plus facilement: peu importe ce qu’il fera, M. et Mme tout le monde ira le voir quand même.
Le Québec adopte de cette manière un cinéma commercial basé sur la forme Hollywoodienne. Pourquoi? Parce que ce genre de cinéma rapporte beaucoup d’argent. Ce qui est important pour les têtes dirigeantes c’est, avant tout, de savoir d’avance si le film à des chances d’être rentable. Un film produit par un réalisateur connu, des acteurs vedettes et des bons effets spéciaux est généralement la recette parfaite et qui assure un capital. On investira donc dans des films dit « commerciaux » plutôt que dans de « bon » films.
Est-ce que c’est narguant pour le public de recevoir des films aussi décevant au niveau cinématographique? D’une part, le public se punit lui-même, car c’est lui qui choisit d’aller voir des films d’aussi piètre qualité. En boudant ce genre de film, l’industrie du cinéma réaliserait qu’un bon film repose d’avantage sur son scénario que sur les membres du « star-système » qui le compose.
D’autre part, le public n’est pas préparé à regarder des films plus « intelligents ». Ne connaissant pas les « codes du cinéma », un public peut-il être un bon public? Je pense que, majoritairement, ce public n’y comprendra rien. Cependant, s’il n’y est pas exposé, comment peut-il apprendre à l’apprécier et à le comprendre? Bien sur, ce public est lésé par ce manque au cinéma, mais la demande de ce genre de film n’est pas si importante.
On se demandera ensuite que cherche ce public? J’y répondrai qu’avant tout, il veut se divertir et ne pas avoir à penser lorsqu’il va au cinéma. Personnellement, je crois que ce public finira par changer par lui-même et il s’intéressera davantage au cinéma qui occupe une place importante dans l’art. Le cinéma québécois est encore en évolution et il doit apprendre de ses erreurs et de ses bons coups. Il devra passer à travers de cette phase pour qu’il puisse s’épanouir.
Deux très bons commentaires qui font état d’un questionnement que je partage entièrement.
Mais il reste qu’au niveau de la rentabilité, il est plutôt rare que des films québécois populaires, coûtant plusieurs millions de dollars, fassent leurs frais. Généralement, le cinéma québécois est une dépense. C’est donc dans cette optique que je pose la question: tant qu’à produire des films commerciaux qui ne rapportent pas ce qu’ils ont coûté, pourquoi ne pas en faire qui innovent ou qui à tout le moins sont différents sur certains égards? Les films de Ricardo Trogi donnent un exemple quand même intéressant ici… Drôles, stéréotypés parfois, ses films sortent tout de même des sentiers battus (ou, en tout cas, des sentiers TROP battus).
Pourquoi ne pas suivre les traces du direct et/ou de l’ONF qui ont donné naissance au cinéma québécois en versant dans l’innovation?
Ping : Le cinéma perd t-il son aura? « Réflexion critique sur la communication de masse
Je trouve cette critique ironique… On se plaint que le cinéma fait pas d’argent et/ou qu’il ne représente pas notre culture. Pierre Falardeau n’était pas aimé, on lui a empêché de réalisé ses projets parce que ses personnages « n’étaient pas assez profond »… (C’est dommage on est loin de Virginie (sarcasme). Pourtant, ses films représentaient notre culture, la masse aimait ses films et si mes renseignements ne sont pas erronés, Elvis Gratton: Miracle à Memphis avait été un succès et avait été rentabilisé ?
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