Comment ne pas voir dans le cablegate un lien direct avec les propos de Noam Chomsky sur la démocratie et les médias? Comment ne pas voir, dans ce scandale naissant dont on entendra certes beaucoup parler au cours des prochaines semaines, un exemple flagrant des nouvelles tendances médiatiques à l’ère de l’information instantanée et du journalisme citoyen?
Petite mise en contexte: Le site Wikileaks diffusera, au cours des prochains mois, des communications confidentielles entre le département d’État américain et des ambassades de par le monde. Les communications en question, datant de 1966 à aujourd’hui, jetteront selon Wikileaks une lumière nouvelle sur les politiques étrangères américaines. Cette fuite de documents confidentiels, amorcée dimanche le 28 novembre, mobilise déjà de nombreux politiciens de par le monde.
Personnellement je crois que ce genre de fuite risque de changer profondément, au fil des prochaines années, le fonctionnement de base de la démocratie. Dans Propagande, médias et démocratie, Chomsky met en comparaison deux définitions fort différentes de la démocratie: d’un côté, la définition théorique voulant que « l’ensemble des citoyens dispose des moyens de participer efficacement à la gestion des affaires qui le concernent et que les moyens d’information [sont] accessibles et indépendants »; d’un autre côté, une définition plus critique avançant que « le peuple doit être exclu de la gestion des affaires qui le concernent et [que] les moyens d’information doivent être étroitement et rigoureusement contrôlés ». Bien entendu, Chomsky s’attarde à examiner comment la deuxième définition ici citée se veut celle qui est prédominante dans les pays démocratiques, grâce notamment aux biais dont sont victimes les médias traditionnels. En effet, les médias sont souvent liés à des intérêts corporatifs, politiques et idéologiques, ce qui limite sérieusement selon Chomsky l’éventail d’information pouvant y être diffusé.
La situation actuelle avec Wikileaks se montre donc très intéressante selon moi et ce, pour deux raisons principales:
- La diffusion d’information sur Internet est souvent libérée des biais qui contraignent les médias traditionnels. On assiste ainsi à une certaine montée du journalisme citoyen; Monsieur et Madame Tout-le-monde se permettent régulièrement de diffuser ou de commenter l’actualité. Des sites diffusant de l’information « indépendante » voient le jour et proposent des couvertures supposément non-biaisées de l’actualité. Il est certes évident que les faits qui seront diffusés sur Wikileaks au fil des prochains mois ne l’auraient jamais été sur des réseaux médiatiques traditionnels. (notons par ailleurs que cette démocratisation de l’information sur le Web permet parallèlement la présence d’informations fausses et non fondées, ce qui pose un problème tout autre qui ne sera pas débattu ici).
- Comme le fonctionnement de la démocratie est étroitement lié avec celui des médias, il est conséquemment prévisible que le changement qui s’amorce dans la diffusion de l’information risque de changer la façon, présentement très réservée, dont les gouvernements prennent des décisions au nom des populations qui les ont élus.
Ce changement sera sans doute un peu long, mais je crois que de tels scandales, qui se font de plus en plus courants, permettent de rappeler que les gouvernements élus démocratiquement sont redevables envers les populations qu’ils représentent. On peut d’ailleurs en lire plus sur ce billet de blogue fort intéressant. Ultimement, comme le mentionne adéquatement le site Wikileaks, les document qui seront révélés mettent à nu la contradiction entre l’image publique des États-Unis, et les actions réelles qui sont prises par le gouvernement américain. Wikileaks rappelle du même souffle que si les citoyens d’un pays démocratique veulent que les prises de décision de leur gouvernement reflètent leurs valeurs, il est essentiel qu’ils demandent de savoir ce qui se passe en arrière-scène.
J’ai déjà mentionné, dans un billet précédent, que la venue d’Internet semblait permettre une démocratisation des médias à laquelle Walter Benjamin rêvait déjà au cours des années 1930. Devant un fait tel que le cablegate, je ne puis que réitérer cette croyance au point où il serait presque possible de croire non seulement à une démocratisation des médias, mais à une démocratisation de la démocratie elle-même…
Mais bon, ça donnera peut-être rien non plus, qui sait? Entretemps, il faut définitivement s’attendre à ce que les gouvernements accusent Wikileaks de mettre en péril la « sécurité nationale », concept creux s’il en est un!
Je m’arrête ici pour aujourd’hui, convaincu que je suis que les événements à venir sauront nourrir d’autres billets sur ce blogue…
Billet très intéressant !
Wikileaks commence vraiment à avoir du poids et révèle vraiment beaucoup de choses. Aujourd’hui, j’ai lu sur un site que des documents confidentiels prouvait que la Chine avait attaqué Google l’année dernière.
WikiLeaks embarrasse beaucoup par ses révélations. Espérons que ça permette une prise de conscience aussi bien chez les politiciens que chez Monsieur et Madame Tout-le-Monde.
Très bon billet, en effet.
Je suis la première d’accord avec la démocratisation de l’information et l’accessibilité de la population à une tribune ouverte et transparente. Nous pouvons constater une montée de cette tendance avec des exemples récents comme la pétition pour la démission de Jean Charest et le dossier des gaz de schiste.
Je pense qu’il était temps que la population soient vraiment informée des actions prises par les dirigeants qu’elle a elle-même élue.
Si je pense aux médias sociaux sous toutes ses formes, il ne faut pas oublier cependant que toutes les parties ont droits aux mêmes armes mais que les moyens (financiers) divergent. Anthropologiquement, il sera bien intéressant d’observer l’évolution de tout ça.
Peut-être un jour aurons nous la preuve qu’Oswald n’a pas tué Kennedy…
J’ai bien hâte de connaître la réaction des États-Unis face à cette émergence démocratique. Vont-ils tenter de restreindre la liberté médiatique qu’offre Internet, au nom de la sécurité nationale justement? Ils éviteraient, dans cet avenir, de perdre de nouveau la face.
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