Frais de scolarité et démocratisation du savoir

Je profite de cette journée de manifestation étudiante pour me permettre un bref commentaire sur le débat social entourant la hausse projetée des frais de scolarité…

En écoutant RDI ce matin, et la couverture médiatique suivant la tentative ratée des étudiants de bloquer le port de Montréal, j’ai été incroyablement stupéfié par les propos de la ministre de l’éducation (et des loisirs et du sport, triste état!). Selon la ministre Beauchamp, les étudiants mordent la main qui les nourrit « en prenant en otage » la « classe moyenne » qui « paye la majeure part » de leurs études. Argument creux s’il en est un, considérant que ce sont ces mêmes étudiants qui constitueront la classe moyenne et supérieure de demain, et qui devra payer la note des années de décisions pauvres prises par des gouvernements qui carburent sur la crédulité des gens.

En effet, pour monsieur et madame tout-le-monde, c’est pas mal plus simple de croire le discours (incroyablement démagogique) selon lequel les étudiants sont des enfants gâtés et qu’ils devraient « payer leur part » que de voir au-delà des ces pitoyables discours pour examiner les décisions prises par un gouvernement hautement douteux. On assomme ensuite la population avec des comparaisons complètement creuses, démontrant entre autres que c’est au Québec que les étudiants étudient au meilleur prix. Certes, on se garde bien de mentionner que c’est au Québec que le taux d’imposition est le plus élevé, ce qui veut dire que le diplômé universitaire (qui gagnera en forte probabilité considérablement plus que ses concitoyens) contribuera en plus grande proportion aux coffres publics. Oui, aux États-Unis, les études coûtent un prix astronomique; cependant, est-ce vraiment une base de comparaison? Après tout, cette même société américaine s’indigne contre toute forme de justice sociale (qu’elle identifie sempiternellement au socialisme, un mot des plus abjects!); j’en prends pour preuve le débat récent sur la couverture médicale universelle promulguée par un président qui a été élu précisément pour cet agenda.

La comparaison avec les américains est d’autant plus dangereuse en ce qu’elle sous-entend un accès au savoir réservé aux familles aisées et à l’élite. L’accès au savoir est très loin d’être démocratique chez nos voisins su sud. Je vois donc dans le débat entourant les frais de scolarité un débat beaucoup plus profond sur les valeurs sociales. Ici, je trouve personnellement que le débat est disproportionné: d’un côté, des gens qui tiennent à un accès à l’éducation et à la justice sociale; de l’autre, une population complètement individualiste, qui milite pour un système « d’utilisateur-payeur » jusqu’au jour où ils doivent eux-mêmes devenir « utilisateurs ». Et au milieu de tout cela: des médias qui contribuent à faire verser le débat autour des questions les plus creuses, dont j’ai déjà évoqué quelques exemples.

En détournant le débat ainsi, les médias (qui, ne l’oublions pas, sont souvent biaisés par des intérêts corporatistes et/ou idéologiques) éloignent la perception des gens du vif du sujet: quelle société voulons-nous pour demain? Quand je vois l’apparition d’une forme prononcée de droite idéologique au sein des médias (pensons ici à la chaîne Sun News qui crache les insanités les plus frappantes pour émoustiller l’opinion des gens autour de questions servant l’idéologie plutôt que l’avancement intellectuel), et quand je vois le manque flagrant de littératie médiatique chez une part importante de la population, qui ne prend aucunement la peine de remettre en question et de relativiser l’information reçue, je m’avoue profondément inquiet. Au-delà des multiples facettes de ce débat, je vois une question centrale: voulons-nous d’une société où l’accès au savoir est démocratique, et relève d’un choix individuel? Ou voulons-nous d’une société dont l’élite est formée non pas par des individus compétents, issus de toutes les classes sociales, mais par ceux qui sont nés sous une bonne étoile? Considérant l’orientation de plus en plus à droite des gouvernements canadiens de tous paliers, force nous est de croire que rien ne fait plus peur qu’une population éduquée. Sur ce sujet, je trouve fort intéressante l’image au bas de ce billet: on y voit des étudiants éduqués terrorisant certains des leaders autoritaires les plus crapuleux du 20ème siècle, le tout dans une esthétique faisant un clin d’oeil fascinant à la propagande sur laquelle reposent ces régimes autoritaires… (merci à ma collègue doctorante Hélène Laurin qui a partagé cette image sur Facebook…)

Toutes ces questions font en sorte, selon moi, que ce n’est pas tant la hausse des frais qui est au centre de ce débat important, mais plutôt ce que ce débat représente au plan social. Pour cette raison, j’encourage mes étudiants en grève à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour ouvrir les yeux des gens, et pour mettre de l’avant la question la plus fondamentale: une société éduquée équivaut à une société réellement démocratique où les choses sont remises en question, plutôt que d’être « gobées » sans poser de questions.

A propos The Prof

Un professeur de communication et de cinéma qui s'initie au merveilleux monde du blogue pédagogique dans le cadre de plusieurs de ses cours.
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