Chaque fois que je donne le cours de modèles théoriques de la communication de masse, l’actualité me gracie d’une abondance de sujets à discuter en classe. Aujourd’hui ne fait pas exception.
Demain j’enseigne le texte « L’œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », dans lequel Walter Benjamin exprime une certaine dose d’optimisme envers la capacité démocratisante de la photo et du cinéma, y voyant la possibilité pour les masses d’apparaître. Le texte date des années 1930: bien entendu, nous savons aujourd’hui que les masses ne sont pas apparues, et surtout pas dans le cinéma hollywoodien. Les masses sont plutôt restées du côté de la réception médiatique, pendant que les intérêts corporatistes s’occupaient de choisir pour elles le contenu médiatique qui lui conviendrait. Du moins était-ce le cas avant l’ère du Web.
Dans un billet datant d’il y a quelques années, je mentionnais au passage comment c’est le web qui a enfin permis aux masses d’apparaître, et comment des médias sociaux tels YouTube incarnaient la démocratisation médiatique décrite par Benjamin. Aujourd’hui nous avons assisté à un mouvement d’inquiétude devant le danger qui guette cette démocratisation du Web, danger représenté par deux projets de loi en attente d’approbation aux États-Unis.
Poussés par le lobby de l’industrie du divertissement, ces deux projets de loi visent entre autres à donner au gouvernement américain la capacité de bloquer certains sites et contenus étrangers, une capacité que je qualifie personnellement — et je ne suis pas le seul — de censure. Les instances légiférantes américaines jouent avec le feu, selon moi; la sacro-sainte liberté d’expression américaine, qui tient de l’utopie plus que de la réalité, serait sérieusement compromise par de telles lois. Et tout ça pour empêcher le téléchargement de musique et de films piratés qui, eux, trouveront le moyen de se rendre jusqu’aux ordinateurs de ceux qui les cherchent. En somme, personne n’est inquiet de ne plus pouvoir télécharger le dernier épisode de la série du moment; tout le monde est inquiet des dommages collatéraux pouvant résulter de cette tentative désespérée…
Mais bon, beaucoup a déjà été dit sur cette facette du débat. Voici donc le moment venu pour moi d’effectuer mes propres extrapolations.
Le plus ridicule dans cette histoire, c’est l’incapacité totale et flagrante des corporations à faire preuve ne serait-ce que d’un tantinet d’innovation. Le numérique repose sur la reproduction perpétuelle de l’information: toute ligne de code tentant de bloquer une information peut être contournée par une autre ligne de code. L’approche du genre « on-tente-de-tout-contrôler-au-point-où-on-perd-le-contrôle » reste donc la plus grande erreur de l’industrie. Et pourtant, le numérique (notamment le Web) offre des possibilités de diffusion incroyables à ceux capables d’innovation, que ce soit dans le monde du cinéma, de la littérature ou de la musique — parlez-en à Guillaume Déziel! Il est donc temps pour l’industrie du divertissement de sérieusement repenser son modèle d’affaire! Car ce n’est pas le cinéma hollywoodien ou la musique de Lady Gaga qui est mise en péril par le piratage; c’est plutôt la capacité démocratisante du Web qui est en jeu!
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